samedi 10 janvier 2015

Partir en Arménie est également l’occasion de découvrir ou de redécouvrir les origines de notre foi.
En effet, ce petit pays aux frontières de l’Azerbaïdjan et de la Turquie est un trésor inestimable pour l’Histoire du christianisme.
Première nation chrétienne, l’Arménie construit la première église monde, entre 298 et 301 à Etchmiadzine, grâce aux instructions de Saint Grégoire l’Illuminateur. Ainsi, il ne faut pas oublier que les arméniens sont également les dépositaires d’une liturgie considérée comme l’une des plus anciennes de l’Eglise.
Nous rencontrerons les communautés chrétiennes, qu’elles soient apostoliques (autocéphales ou ayant leur propre hiérarchie autonome) ou qu’elles soient rattachées à Rome tout en ayant conservé la liturgie arménienne qui la caractérise. Ces communautés peuvent nous donner la possibilité d’apercevoir la diversité et la richesse de l’Eglise et des églises, mais également de comprendre leur complexité et la difficulté de l’œcuménisme.
Ce séjour peut donner à chacun, jeunes et adultes, le moyen de s’ouvrir à d’autres réalités ecclésiales ainsi qu’à une autre tradition liturgique. Nous pourrons constater la persistance de la foi chrétienne et la persévérance des croyants de ce peuple malgré les persécutions qu’elles aient été turques ou soviétiques.
Cette rencontre d’Eglises orientales doit nous permettre de nous soucier de ces « chrétiens des origines », frères dans la foi et gardiens de traditions ancestrales. Ils sont pour nous comme un trait d’union dans l’Histoire.

Enfin cette sorte de Visitation d’Eglises, doit être perçue comme le partage entre nos Eglises d’Occident et d’Orient, qui peut nous permettre de relire notre propre patrimoine et de redécouvrir la richesse de notre tradition dite latine.

Aspect artistique du projet

Aspect artistique du projet


Si souvent on se demande où se trouve l’Arménie, son nom pourtant évoque immédiatement l’architecture, tant ce pays a marqué le monde chrétien par ses innovations. Premier pays chrétien du monde, on trouve encore les vestiges de la première église à Etchmiadzin (IIe siècle). Les architectes arméniens sont allés partout dans le monde porter leur science. On leur doit notamment la forme des clochers de nombre d’églises de base carrée et de sommet en coupole, passage hautement symbolique : le carré, terre des hommes, se transformant dans le clocher de l’église en cercle, perfection, sans début ni fin, infini, symbole du divin.

L’enluminure arménienne, sans doute moins connue, est encore pratiquée dans le pays aujourd’hui. Bien qu’il y ait des correspondances, les codes ne sont pas ceux de l’icône orthodoxe, la symbolique des couleurs est par exemple moins rigide.

Sr Arousiag nous a demandé 7 ou 12 panneaux catéchétiques à exposer de façon permanente sur un chemin conduisant à une grande croix au fond du parc du centre de Tsaghkadzor. Les enfants ont en effet besoin de renouer avec leur passé par l’art et la religion.

Nous sommes partis du dodekaorton (Δωδεκαόρθον), cycle des douze grandes fêtes byzantines de l’année liturgique. Plusieurs livres sur l’enluminure arménienne1 nous ont permis de compter les fêtes les plus fréquemment illustrées dans les manuscrits. En travaillant en parallèle avec les calendriers liturgiques chrétiens orthodoxe et catholique nous avons choisi douze scènes. Quatorze prototypes inspirés des manuscrits ont été réalisés. Nous avons ensuite sélectionné les sept premiers : Annonciation – Nativité – Baptême – Cène – Crucifixion – Résurrection – Pentecôte - que nous réaliserons d’abord. Si nous en avons la possibilité nous réaliserons ensuite cinq autres tableaux : Présentation – Transfiguration – Rameaux – Ascension – Anastase ou Résurrection de Lazare. Chaque tableau tenant dans un carré, sera encadré par des colonnes et un tympan inspirés des canons de divers manuscrits arméniens.

Nous travaillons sous le regard de Sr Arousiag et du P. B. Chevalier, spécialiste d’enluminure, titulaire de la Licenza in Beni Culturali della Chiesa et responsable de la commission d’art sacré du diocèse d’Angers, pour produire des images les plus proches possibles de la culture arménienne et les plus pédagogiques possibles pour les enfants de Tsaghkadzor. Les images présentées ici ne sont que des prototypes d’étude réalisés avec diverses techniques : croquis à la sanguine, graphite ou craie, première ébauche à l’aquarelle puis glacis aux pigments purs et gomme arabique ou œuf selon le cas.

1 La miniature arménienne, coll. De Maténadran – Erevan. Ed d'art Aurora. Leningrad 1984
Miniatures arméniennes. Manuscripts Matenadaran. Gal d'art d'état de la RSS
Manuscrit arménien illustré du xve siècle de la BNF n°18

Annonciation

Annonciation (Khairetismos=la visita)
L’Ange Gabriel est reconnaissable à ses ailes mais aussi un bandeau dans les cheveux signifiant qu’il ne parle pas de son chef mais de la part de Dieu et son bâton de messager sur lequel on plaçait le message pour le tendre au récipiendaire. Sa forme en croix annonce aussi à Marie l’issue de la vie terrestre du Christ.
La Vierge Marie surprise par l’annonce lâche le fuseau de fil pourpre, couleur impériale, qu’elle était en train de filer pour son divin Fils, et fait un geste de consentement de l’autre main. Elle est couverte par une église, de forme arménienne, pour signifier qu’elle en est la mère. Un arbre, celui de Jessé sans doute, sépare l’ange, divin, de la Vierge, humaine.
Les textes apocryphes disent qu’à cet instant crucial de sa vie, elle était à la fontaine partie puiser de l’eau, symbole de fécondité et de maternité, comme le vase qu’elle a posé pour écouter la voix de l’ange.
Le ciel en demi-cercle coule vers Marie pour lui apporter l’Esprit montré sous forme d’une colombe.
La Vierge est vêtue de bleu, couleur divine, qui exprime le détachement vis-à-vis du monde et l'envol vers Dieu, et d’un manteau rouge, qui manifeste le déferlement d'une vie exubérante et est le symbole de la vérité divine dans l'Ancien Testament. Symbole de l'amour, du sacrifice et de l'altruisme.  La pourpre était dans le monde antique en général et byzantin en particulier, la couleur du vêtement impérial. Le manteau de la Vierge (« manphorion ») est de cette couleur, symbole ici de royauté et de divinité, puisque Dieu l’a choisie pour être la Mère du Roi du monde.
L’ange à l’inverse, comme le Christ, s’habille de rouge symbole de pouvoir terrestre suprême et du bleu de sa divinité. Le bleu du manteau ("himation") du Christ symbolise son caractère céleste, infini, sage et mystérieux. Céleste ou profond, il marque une participation au divin indicible,  au transcendant impalpable, à l’infini du ciel ou de la mer.

Nativité

Nativité
L’image finale sera plus claire, sans utilisation de couleur terre brûlée trop sombre, pour approcher davantage l’invisible que veut manifester toute icône ou enluminure.
L’ange bénit ici les bergers et leur montre le Sauveur. Le drap pourpre et le demi-cercle bleu symbolisent la Jérusalem céleste, Ciel de Dieu. Dans l’image finale nous voulons faire le ciel comme dans l’Annonciation, qui coule sur Marie placée plus au centre.
Ce sont les apocryphes qui notent la présence de l’âne et du bœuf à la crèche. Jésus toujours désigné par l’auréole crucifère est couché dans la mangeoire conformément à l’écriture. Sa mère est couchée à ses côtés signifiant qu’elle a vraiment accouché humainement. Joseph en contrebas médite sur cet immense mystère de l’Incarnation, comme d’ailleurs tout homme à l’aube de sa paternité.
Les mages sont de la couleur des rois bien qu’il s’agisse dans les écritures de savants plus que de rois, mais c’est pour indiquer leur autorité scientifique. Ils offrent l’encens, l’or et la myrrhe, pour dire que le Messie est prophète, roi et prophète.
Les bergers dont les visages ne sont pas forcément visibles entièrement, car leur cœur n’est pas forcément clair, apportent des agneaux qui depuis le prophète Isaïe symbolisent le Messie.
Les femmes qui donnent le bain à Jésus trempent leur main dans l’eau pour bien montrer son humanité. La baignoire en forme de coupe rappelle le sacrifice eucharistique.

Présentation

Présentation (Ypapante=incontro, Candelora)
Le Ciel, tente bleue entre deux églises, nouveau et ancien testament, sainte famille et prêtres de l’ancienne loi, est aussi la tente de la rencontre, le saint des saints, le sanctuaire, le tabernacle, le chœur du temple.
L’autel et la lampe au centre renforcent cette symbolique.
Joseph apporte les deux colombes traditionnelles pour le sacrifice. Marie porte l’enfant pour la circoncision, entrée dans la vie juive. Le Christ n’est pas venu abolir mais accomplir, son parcours spirituel juif est donc respecté.
Siméon le grand prêtre, de l’ancienne loi, va célébrer la circoncision de Jésus et derrière lui la prophétesse Anne annonce la nouvelle loi à partir de l’ancienne en bénissant la scène et portant un manuscrit.

Baptême

Baptême (Baptisis, Epifania)
Le Ciel d’où sort la main Paternelle avec un geste de bénédiction proclame : « Celui-ci est mon fils bien aimé » et envoie l’esprit matérialisé sous la forme d’une colombe. Le Jourdain entre deux montagnes sépare l’image en deux temps : l’avant et l’après Christ.
Jean le Baptiste pose une main sur la tête du Seigneur pour le baptiser et le montre de l’autre comme étant celui qui le précède.
Jésus portant le périzonium comme à la crucifixion, fait d’une main le même geste d’acceptation que sa mère à l’annonciation et bénit de l’autre main les eaux où l’esprit païen, cristallisant la peur des hommes devant l’inconnu sans fond, se prosterne en signe de soumission.
Un ange apporte de quoi couvrir et sécher le nouveau baptisé et l’autre arrose l’arbre avec des eaux désormais bénites.

Transfiguration

Transfiguration (Metamorphosis)
Fête des peintres puisqu’elle donne modèle à l’iconographe et justifie son travail eschatologique. Le Christ d’où vient la lumière entouré de la mandorle, ouverture sur le Ciel. Elie et Moïse forment les pilliers de cette ouverture : les prophètes et la loi.
Les trois montagnes historiques servent d’estrade à chaque protagoniste : le Christ sur le Tabor, Elie au Carmel et Moïse au Sinaï.

Les apôtres amenés par le Christ à contempler le mystère sont comme le dit l’évangile : Pierre, Jacques et Jean.

Rameaux

Rameaux (Baioforos=che porta la palma, Domenica delle Palme)
Le Christ entre à Jérusalem, la ville ici coiffée arménienne, suivit des apôtres. Des Zachés perchés dans les arbres, des habitants étendent leur manteau ou des palmes, on reconnaît Jésus comme étant le Christ, le Messie

Lazare

Résurrection de Lazare
Les auréoles des apôtres forment une montagne verte fertile montrant le Christ bénissant son ami Lazare et tenant les écritures en signe d'accomplissement. Marte et Marie se prosternent à ses pieds, Marie qui lui versera plus tard du parfum sur les pieds, Marte qui est celle qui s'agite aux affaires de la maison. Le peuple ératique observe médusé au centre. Lazare encore emprisoné du linceul, comme des langes d'un nouveau né, dubout dans son tombeau en forme de porte étiopienne : rectangle pour la base, cercle pour le tympan, on retrouve la symbolique de carré allant au cercle : de la terre au Ciel.

Cène

Cène et lavement des pieds
Célébrés chaque Jeudi Saint dans l'eglise catholique romaine. L'image est ici composée à partir de deux enluminures arémniennes. Le Christ lave les pieds de St Pierre qui proteste puis lui demande de lui laver aussi la tête. Il rompt le pain et le présente aux disciples, Juda s'enfuie, la bourse à la main (il était le « trésorier » du groupe), son auréole est à demi coupée pour signifier qu'il a bien été disciple de Jésus mais qu'à cet instant il rompt l'alliance.

Crucifixion

Crucifixion
La croix est encadrée à droite et à gauche du soleil et de la lune : astres du jour de de la nuit, le temps. La coupure horizontale jaune ocre / bleu marque la séparation ciel / terre, l'espace. Le crâne place la scène dans son contexte réel : le Golgotha. Le Crucifié est entouré par sa mère et Jean, deux anges viennent collecter le précieux sang du Christ offert pour les péchés du monde. Le centurion à lance représente le peuple païen converti.

Anastase

Anastase (Descente aux limbes)
Le Christ vient chercher Adam par la main, Eve derrière lui prête à suivre. Les couvercles du tomeau forment la croix mise à terre, vaincue par la résurection du Christ. Le vert des morts passe au rouge-orangé des vivants de gauche à droite.

Résurrection

Résurrection (Apparition aux stes femmes Myrrhophores)
Les saintes femmes qui portent la myrrhe (d'où leur nom) que l'ont utilisait pour embaumer les morts arrivent au tombeau comme le dit l'écriture. Les ailes de l'ange qui montre le tombeau vide font la limite entre le ciel et terre, le temporel et l'éternel, la mort et la vie. Pierre et Jean venus à la suite des saintes femmes attestent la résurection, Jean n'a pas osé entrer, Pierre se penche au dessus du tombeau, comme au dessus du berceau d'un bébé : le linceul est bien rangé à la tête et aux pieds du tombeau coiffé arménien. Les gardes dorment en bas, ignorant la scène.

Ascension

Ascension (Analepsis)
La verticale est tracée par le Fils et sa Mère, l'horizontale par les douzes apôtres. Comme pour la Transfiguration, le Christ est dans une mandorle, intersection de deux cercles, symbole d'espace divin mais aussi sexe féminin stylisé, origine du monde. Jésus n'est plus seulement habillé de lumière et montré par Elie et Moïse mais réellement porté par les anges dans sa vêture habituelle : c'est ici qu'il disparaît corporellement.

Pentecôte

Pentecôte
Le Ciel d'où oeuvrent désormais le Père et le Fils envoie l'Esprit Saint, la colombe, qui distribue douze rayons pour douze apôtres, douzes tribues d'Israël, c'est-à-dire la totalité des peuples de la terre. Les deux églises de formes et couleurs complémentaires témoignent du soucis d'universalité. Les apôtres font le geste de bénédiction de la main droite.

A la porte de la chambre haute où sont réunis les disciples un cynocéphale, profil humain et canin, représente la dualité de l'homme, capable de bien comme de mal, yin/yang, etc, … et l'homme-chien, canidé-cannibale qui ne sait qu'aboyer mais qui, par sa conversion, gagne une âme et parle soudain «en langue ». Parmi le peuple on distingue le roi Trdat III, parfois aussi identifié au cynocéphale, roi d'Arménie qui se convertit au IVe siècle et fit entrer sont pays le premier dans l'ère Chrétienne.

Dormition

Assomption (Dormition, Koimesis)
Jésus descendu du Ciel (tente bleue), accompagné des anges, porte dans ses bras l'âme de sa mère représentée sous la forme d'un bébé : merveilleuse symbolique traditionnelle orthodoxe nous montrant en même temps la naissance au Ciel, la mort, la résurrection et le cycle de la vie. La Vierge allongée semble dormir, c'est l'attitude grave et tendre des apôtres qui nous fait comprendre qu'ils la pleurent parce qu'ils ne la reverront plus en ce monde terrestre : Marie mère de l'Eglise s'en va rejoindre son Fils, premier né d'entre les morts.